Page:L'Écho des feuilletons - 1844.djvu/96

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elle ne le désire pas, comme je le crains, pourquoi l’importuner ?

« Il attendait donc, résigné dans sa tristesse.

« Un jour, ils parcouraient ensemble la crête du Pasli ; tout d’un coup Nada poussa un cri. Mikoa jeta avec effroi les yeux sur elle. Elle s’était arrêtée brusquement, le regard fixé sur l’horizon, vers lequel elle tendait le bras avec force.

« — Quel esprit te possède, chère fiancée ? lui dit Mikoa, et pourquoi as-tu poussé un cri sinistre en regardant la vaste mer ?

« — Là-bas ! là-bas ! ne vois-tu pas ? lui répondit ma mère, sans changer d’expression ni d’attitude.

« — Non, je ne vois rien que le soleil qui brille et les étoiles qui s’agitent.

« — Mais entre le soleil et les flots, tu ne vois rien, rien ?

« Je vois une tache légère, un petit nuage qui se détache du ciel bleu.

« — Eh bien ! ce n’est pas une tache, ce n’est pas on nuage, c’est un navire, ce sont les guerriers du grand pays qui reviennent.

« — Et quand elle eut dit ces paroles, ma mère ne voulut plus quitter la place où elle était. Elle s’assit sur une pierre, et resta là jusqu’au soir, regardant le navire qui avançait toujours et grosissait en avançant. Quand le soir fut venu, elle se laissa emmener par Mikoa vers sa cabane. Pendant tout le chemin, elle ne prononça pas une parole ; et, lorsque son ami lui souhaita la nuit heureuse, elle lui répondit :

« — Je les verrai »

« — Nada passa la nuit sans dormir, livrée à des transports violents ; et dès que le matin vint éclaircir le ciel, elle se leva sans bruit, et partit pour la ville. En y arrivant, elle trouva tout le monde rassemblé sur la plage, contemplant, avec un étonnement mêlé de crainte, le navire qui reposait dans la rade, appuyé sur ses ancres.

« Perdue dans la foule, elle n’en écoutait pas les discours et n’en partageait pas les sentiments. Elle avait porté toutes ses pensées sur la machine étrangère ; non pas, comme les autres, pour en admirer le grand corps, les longs bras et les ailes repliées, mais dans l’espoir de voir paraître et s’approcher les hommes divins qui la montaient. Mais le navire resta immobile, pas un bateau ne se détacha de ses flancs ; et durant tout le jour, on ne vit autre chose que des points noirs qui passaient le long du bord. À la nuit, les guerriers de l’île allumèrent des feux et se couchèrent autour, ne voulant pas quitter la plage qu’ils croyaient menacée. Ma mère veilla auprès d’eux, sous la garde de Mikoa, qui l’avait rejointe. La nuit fut tranquille.

« Le lendemain matin, les guerriers voyant que le navire continuait à ne donner aucun signe d’hostilité, ni même de vie, décidèrent qu’un certain nombre d’entre eux iraient vers les étrangers pour les visiter et leur offrir l’accueil de l’hospitalité. Une barque fut choisie parmi les plus légères, et ornée de feuillage ; vingt habiles rameurs, au nombre desquels était Mikoa, s’assirent sur les bancs ; un chef prit le gouvernail, et un prêtre, vêtu de son pagne blanc, peint de rouge, se posa debout à la proue. La barque partit au milieu des acclamations, s’approcha du navire, et revint au bout d’une heure.

« Le prêtre dit aux guerriers rassemblés que les étrangers avaient répondu par signes aux discours de ses compagnons, qu’ils paraissaient ne pas comprendre ; qu’ils avaient paru touchés des offres bienveillantes qui leur étaient faites, mais qu’ils ne voulaient rien que la permission de remplir leurs vases d’eau fraîche. Le conseil des guerriers décida que ia barque retournerait au navire, et que le prêtre annoncerait aux étrangers qu’ils pouvaient aller remplir leurs vases à la source d’eau fraîche qui coule au pied de la montagne de diamant, et qu’il leur offrirait de nouveau l’hospitalité.

« La barque repartit, et le prêtre fit ce que le conseil des guerriers lui avait ordonné. Le chef des étrangers mit la main sur son cœur, et fit de riches présents au prêtre et à ses compagnons, qui revinrent pleins de joie.

« Peu de temps après, une barque se détacha du navire et se rendit à la pointe de Diamant, sous la conduite de Mikoa, qui avait été laissé à bord du navire, parce qu’il était le meilleur pécheur de l’île, et qu’il connaissait très bien les abords de l’ile. Là, les matelots étrangers remplirent plusieurs tonneaux d’eau fraîche. Quand ils eurent fini, ils s’en retournèrent au vaisseau. Ils revinrent plusieurs fois, et remplirent beaucoup de tonneaux. Pour ne pas inquiéter les étrangers, le conseil avait ordonné que personne, excepté le prêtre et quelques chefs, n’irait aux environs de la source ; et des guerriers, placés