Page:L'Écho des feuilletons - 1844.djvu/97

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sur la routr qui mène d’Houo-Hourou à la pointe de Diamant, avaient empêché, pendant tout le jour, la foule de s’en approcher.

« Nada n’avait donc pas pu, durant tout le jour, satisfaire l’ardent désir qu’elle avait de voir les hommes du pays lointain. Mais le soir étant venu, comme les étrangers ne devaient plus revenir que le lendemain après le lever du soleil, les guerriers qui avaient été placés avec leurs arcs le long du rivage, pour garder le chemin, reçurent l’ordre de retourner à leurs cases. Ma mère profita aussitôt de leur absence et se rendit à la pointe de Diamant. Elle comptait se cacher dans une des excavations qu’elle connaissait, y passer la nuit sur un lit de feuilles sèches, et satisfaire le lendemain sa curiosité sans être vue de personne.

« La nuit était calme, la mer presque immobile, et la lune, mince et courbée comme l’arc d’un jeune guerrier, éclairait faiblement. Ma mère s’assit sur le sable du rivage, et se mit à songer, en regardant les formes incertaines du navire qui dormait dans ia rade.

« Tout-à-coup, entre elle et le navire, dans la légère traînée d’argent que la lune projetait sur la mer, elle vit un point noir passer assez rapidement Elle crut d’abord que c’était un poisson qui avait sauté hors de l’eau, et s’y était replongé pour ne plus reparaître. Mais bientôt, et dans la même direction, elle revit le même point noir. Mais, cette fois, il paraissait plus près, et au lieu de passer comme auparavant, il continua à avancer droit. Elle pensa alors que ce pouvait être un homme qui nageait, et bientôt elle n’en douta plus.

« Mais pourquoi et comment se trouvait-il là, à cette heure ? C’était ce qu’elle ne pouvait concevoir. Pendant qu’elle cherchait dans sa pensée la cause de cette étrange apparition, à peu près à la place où elle avait aperçu, pour la première fois, la tête du nageur, elle vit s’avancer une masse noire, aux deux côtés de laquelle semblaient ruisseler des étincelles d’argent. Elle pensa tout de suite que c’était un bateau monté par plusieurs rameurs, et que ce bateau poursuivait le nageur.

« Alors, se rappelant que Mikoa était resté à bord du navire, elle crut que c’était lui qui se sauvait à la nage et qu’on poursuivait pour le tuer. Comme elle avait pour Mikoa l’affection qu’une sœur a pour son frère, elle sentit son cœur se serrer horriblement, et faillit tomber suffoquée sur le rivage. Mais elle reprit bientôt le dessus sur sa douleur, sauta dans une barque qui était attachée à un cocotier, saisit les rames, et partit au secours du nageur. Comme elle était habile au maniement des rames, et que son affection lui donnait des forces, elle arriva en peu d’instants sur lui.

« Il était temps : le bateau étranger s’approchait rapidement et les forces commençaient manquer à l’inconnu ; car ce n’était pas Mikoa. Ma mère poussa un cri de joie quand elle s’en aperçut ; mais comme son cœur était bon pour le malheureux comme celui d’une mère pour ses enfants, elle tendit la main à l’étranger et l’attira dans le bateau.

« À peine y était-il assis, que plusieurs détonations se firent entendre, semblables à celles du tonnerre ; mais ma mère, qui avait entendu par ler aux anciens des armes merveilleuses dont se servaient les hommes du pays lointain, ne fut pas épouvantée. Elle mit une rame dans la main de l’inconnu, reprit l’autre, et tous deux firent courir leur barque légère avec la vitesse d’une flèche. Ils arrivèrent au rivage, toujours harcelés de coups de fusils. Au moment où ils sautaient à terre, une balle brisa la rame sur laquelle s’appuyait l’étranger et lui déchira le bras. Il ne poussa pas un cri, mais il chancela, et serait tombé si ma mère ne l’eût soutenu. Elle s’aperçut alors de la blessure qu’il venait de recevoir, elle déchira un morceau du pagne dont elle était vêtue, et lui banda le bras.

« Pendant ce temps, le bateau étranger s’approchait toujours, les détonations continuaient, et les balles sifflaient aux oreilles de ma mère, Quand elle eut fini de panser la blessure de l’étranger, elle lui fit signe de la suivre, et se mit en marche au milieu des rochers. En peu d’instants ils furent tous deux à l’abri des coups de feu. Ils n’en continuèrent pas moins à marcher ; et après une course peu longue, mais pénible, à travers des rochers et des crevasses, ils arrivèrent sur le bord d’un immense précipice.

« Au premier coup d’œil, l’étranger crut qu’il leur serait impossible d’aller plus loin. La pente était presque droite, et rien ne séparait le chemin de l’abîme que quelques touffes d’aloès et de lianes suspendues aux fentes du rocher. Ce fut pourtant là que ma mère lui fit signe de la suivre. Elle se laissa glisser le long du roc jusque dans un