RÊVERIE
Elle est là, assise avec nonchalance sur une des pièces de bois qui composent la digue : c’est la note gaie de ce tableau un peu sombre.
La robe relevée laisse entrevoir un tout petit pied que chausse un mignon brodequin en cuir mordoré ; on aperçoit le bas de soie marron avec soutache grise sur le côte.
Elle a remonté son voile sur son chapeau de feutre noir — un vrai chapeau d’homme — posé crânement sur la tête, et la brise qui vient du large — une brise parfumée par les senteurs des algues — fait voltiger ses blonds frisons qui viennent, parfois, cacher de grands yeux bleus aussi clairs que le ciel les soirs d’été.
Dans une de ses mains elle tient un livre, le dernier paru ; il n’est même pas ouvert depuis si longtemps qu’elle est là.
On est à cette heure charmante qui n’est plus jour déjà, qui n’est pas nuit encore, moment délicieux pour se perdre dans une rêverie sans fin et vivre un instant la vie si délicieusement mensongère du songe.
Marguerite rêve, en effet ; mais à quoi rêve-t-elle ?
Son passé d’enfant se déroule-t-il de nouveau devant elle, ce passé si plein de chers souvenirs et de douces souffrances, où sa mère venait la border dans son lit tout blanc surmonté d’une grande vierge qui la regardait avec tant de bonté lorsque, matin et soir, elle s’agenouillait, croyante, pour balbutier sa prière de chérubin ?
Revit-elle par la pensée sa vie de jeune fille, calme et unie ainsi que les lacs des pays enchantés, où un bal était un événement, une robe manquée, une catastrophe ? Qu’est donc devenu son cousin Gontran qui, lorsqu’il était en rhétorique, lui apportait régulièrement chaque dimanche une longue pièce d’alexandrins ne parlant que d’union éternelle des âmes, d’exil dans un coin retiré du monde, d’amour platonique ? Gontran ?