Aller au contenu

Page:L'Écho des jeunes, Novembre 1891.djvu/5

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
3
L’ÉCHO DES JEUNES

— Vous paraissez sincère, dit-elle en mêlant à son rire railleur un peu d’étonnement.

— Je vous aime, madame, au point de faire des folies de romans.

— Vous en faites les phrases.

— Je vous aime au point de me tuer à cause de vous.

— Voilà qui est bien inutile.

— Voilà ce que vous pouvez éviter, Héléna.

— Je ne vous demande pas comment, répliqua-t-elle en le dévisageant avec un regard de pitié hautaine.

Il comprit le refus formel, catégorique, sans réticence ni correctif, le refus de la femme qui est heureuse de faire souffrir un homme !

— C’est bien, murmura-t-il en se levant. J’ai vingt-deux ans. Je m’ennuie. Je vous désirais. Je ne suis plus bon à rien qu’à vous faire un instant battre le cœur par ma dernière bêtise. Dans une seconde, je ne vous aimerai plus.

Elle pâlit, quitta sa glace pour l’arrêter, mais déjà, il s’était troué le front d’une balle.

Héléna, éclaboussée de sang, bondit vers la porte pour fuir.

Une pensée traversa son cerveau, une pensée de panique et de charité : « J’aurais bien pu me laisser aller, puisque tant d’autres… » Mais ce remords de fille facile n’eut pas même le temps de prendre consistance en son esprit. Elle poussa un cri de terreur en arrivant au fond du corridor.

— Le feu ! cria-t-elle.

La fumée, âcre et noire, l’avait prise à la gorge.

Elle recula, râlant avec terreur :

— Le feu ! Au feu ! Au secours !

Le corridor s’embrasait, rougeoyait. La fumée tourbillonnante repoussait Héléna dans sa loge.

Elle n’articulait plus ses cris. Les cheveux dénoués, elle courut à sa fenêtre et ne la trouva pas. Affolée, elle tournait comme une bête en cage dans la petite pièce carrée qu’éclaira tout à coup un jet de flamme. La chaleur qui lui brûla le visage la rejeta en arrière. Elle trébucha sur le corps de Victor de Ridel et tomba.