gent, on vendit les terres d’abord, et mon père, ainsi que beaucoup d’autres, se vit réduit à mendier son pain. On se défit ensuite des voitures, des maisons, des meubles, enfin du magasin ; tout fut dévoré par la cupidité des créanciers, tout fut mangé par les gens de cour, qui ne sont guère scrupuleux, lorsqu’il s’agit d’emplir leur bourse.
« Voilà donc Mme La Troupe dans la rue, sans aucune ressource, et cela s’est fait, ma chère Helmina, dans l’espace de deux mois environ.
« Enfin vous le dirais-je ? Mme La Troupe et sa fille vécurent pendant un an du secours des autres, non pas de celui des riches, ils furent impitoyables aussitôt qu’ils virent qu’ils n’avaient plus rien à espérer, c’est l’ordinaire ; mais aux dépens des pauvres !
« Quant à nous, Helmina, épargnez-moi de vous faire le tableau de la misère que nous eûmes ; qu’il me suffise de vous dire que ma pauvre mère en est morte !…
Julienne ne put continuer ; les sanglots lui coupèrent la parole ; la sensible Helmina pleura avec elle et après avoir donné un libre cours à leurs larmes :
— Pauvre Julienne, telle est la différence de notre douleur, vous pleurez pour les morts, et moi, je pleure pour les vivants, pour les absents !
— Et moi donc, dit Julienne, n’ai-je pas mon pauvre père que je n’ai point vu depuis trois mois ?
— Comment avez-vous été séparée de lui ? Continuez, Julienne, je vous en prie.
— Le reste n’est pas long, Helmina ; trois mois après la mort de ma mère, mon père fit connaissance avec le vôtre, je ne sais comment ; ils devinrent tellement amis qu’ils ne se laissaient plus. Un jour, mon père était absent, M. Jacques vint chez nous et me prenant à part :
— Julienne, me dit-il, votre père n’a plus rien à gagner ici ; il m’a témoigné le désir de laisser pour un temps le Canada, en me demandant d’avoir