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Page:L'Écuyer - La fille du brigand, 1914.djvu/62

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LA FILLE

rauque et enroué ; sa démarche est pleine de noblesse et d’aisance.

Bouleau a bien la mine la plus insignifiante qu’il soit possible d’imaginer : un front bas et plat, couvert de cheveux crêpés qui lui descendent jusque sur le nez, de gros yeux gris, morts dans leurs orbites, un gros nez épaté sur lequel on peut faire tenir un verre plein, une bouche fendue d’une manière démesurée et encadrée dans des lèvres épaisses et rougies par le rhum ; des joues enflées et couvertes de favoris roux et hérissés, un air béat et imbécile, un sourire niais et forcé, une démarche nonchalante, des manières gênées : voilà Bouleau quant au physique.

Cependant Bouleau est l’homme de cabinet de la société ; c’est lui qui, ordinairement, trame et prépare les entreprises ; c’est l’homme de consultation par excellence : on ne fait rien sans demander l’opinion de Bouleau ; on ne fait rien sans qu’il ait donné son approbation. Pourquoi cela ? parce que Bouleau est un homme de tête rare, un homme d’un jugement sain, d’un esprit juste et solide, d’une conception vaste ; parce qu’il n’a jamais failli dans ses décisions ; parce que ses conseils ont toujours porté fruit.

Mouflard n’est encore qu’un apprenti, mais un apprenti qui a du talent pour le métier, comme dit le père Munro. « Ce muffle-là, dit-il souvent en s’adressant aux autres, vous montera bientôt sur le dos, mes enfants. » Il n’en faut pas plus pour encourager notre jeune scélérat. Mouflard a quinze ans ; il est court et trapu et assez mal proportionné. Il a une figure des plus expressives, un esprit vif et bouillant, un caractère moqueur et satirique ; c’est l’enfant gâté du père Munro.

Mouflard a commencé son apprentissage sur les marchés : c’est là que le père Munro l’a pris, au milieu d’une troupe d’enfants dénaturés et fainéants qui y croupissent tous les jours dans l’inaction et la misère, et qui finiront par avoir le même sort. N’est-il pas désolant de rencontrer tous les