Page:L'âme russe, contes choisis, trad Golschmann et Jaubert, 1896.djvu/286

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sa bouche coulait un filet de sang. Oui, je m’en souviens très bien. Je me rappelle aussi Savoir rencontré, lui, dans un hallier, presque à la lisière... C’était un Turc grand et gros, mais je courais droit vers lui, tout faible et maigre que je fusse. Un craquement retentit, quelque chose d’énorme me sembla passer rapidement ; en même temps je sentis un tintement dans les oreilles.

— C’est lui qui a tiré sur moi, pensai-je.

Et lui, poussant des cris d’horreur, s’appuya du dos contre un épais buisson d’aubépine. Il aurait pu se transporter de l’autre côté du buisson, mais son épouvante lui faisait perdre la tête, et il se heurtait contre les rameaux piquants. D’un coup je lui fis lâcher son fusil, d’un autre j’enfonçai je ne sais où ma baïonnette. J’entendis quelque chose gémir ou plutôt mugir.

Je courus plus loin. Les nôtres criaient « hourra ! » tombaient, tiraient. Je me rappelle avoir tiré, moi aussi, plusieurs coups après être sorti du bois, dans une clairière. Tout à coup, le « hourra ! » devint plus fort, et nous nous mimes à avancer tous à la fois. C’est-à-dire, non pas nous, mais les nôtres, puisque j’étais resté en arrière. Cela me sembla étrange. Mais ce qui me surprit encore plus, c’est que tout disparut brusquement, tous les cris, tous les coups de fusil cessèrent. Je n’entendais plus rien, je voyais seulement quelque chose de bleu ; c’était sans doute le ciel. Puis le ciel lui-même s’effaça.

...Je ne me suis jamais trouvé dans une situation aussi étrange. Il me semble que je suis couché sur le ventre