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Page:L'Art Social, No 3, Septembre 1896.djvu/22

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laient injurieusement des matériaux !… Et voici qu’ils veulent nous faire faire des enfants, pour nous les voler ensuite !

Autour d’elles, des millions de locomotives s’arrêtaient, écoutaient, agitaient leurs pistons en gestes indignés, faisaient claquer leurs soupapes de sûreté, lançaient vers le ciel de longs jets de vapeur qui étaient des malédictions.

Et quand la Jeanne conclut :

— À bas les hommes !

Une grande clameur tumultueuse lui répondit :

— À bas les hommes ! Vivent les locomotives ! À bas les tyrans ! Vive la liberté.

Puis par toutes les voies, l’armée monstrueuse cerna le palais du Grand-Ingénieur.

Le palais du Grand-Ingénieur, très haut, avait la forme étrange d’un homme. Sa tête portait une couronne de canons. Sa taille avait une ceinture de canons. Les doigts de ses mains et les orteils de ses pieds étaient des canons.

La Jeanne cria aux longs monstres de bronze :

— Les hommes m’ont volé mon enfant !

Les grands canons grondèrent :

— À bas les hommes.

Et, tournant sur leur pivot, ils dirigèrent leur menace contre le palais étrange, en forme d’homme, qu’ils étaient destinés à défendre.

Alors on vit un spectacle sublime.

Durdonc, petit, passa entre les monstres énormes qui formaient les orteils du palais. Calme, il marcha au devant des révoltées. Toutes ces géantes regardaient, émues, le nain à qui elles avaient l’habitude d’obéir.

D’un geste théâtral qui, malgré les petites proportions de l’homme, eut sa beauté, Durdonc découvrit sa poitrine délicate.

— Laquelle de vous veut tuer son Grand-Ingénieur ? demanda-t-il hautain.

Les machines reculèrent étonnées.

La Jeanne dit, en une supplication :

— Rends-moi mon enfant.

Durdonc ordonna, souverain :

— Résigne-toi à la volonté du Grand-Ingénieur.

Mais la mère s’irrita, cria :

— Rends-moi mon enfant.

L’homme, d’une voix câline, offrit un vague espoir :

— Tu le retrouveras dans un monde meilleur.

La Jeanne s’exaspéra :

— Je te dis de me rendre mon enfant !