Page:L'année sociologique, tome 9, 1904-1905.djvu/25

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individus n’échappent pas aux habitudes qu’ils y ont contractées, et même quand ils ont affaire à des personnes étrangères aux divers groupes dont ils font eux-mêmes partie, ils restent sujets à employer les mots avec le sens que ceux-ci ont pris dans un groupe. D’autre part, s’il s’agit de groupes qui ont un prestige, notamment de groupes aristocratiques ou de groupes savants, les individus qui n’y ont pas accès se plaisent à en reproduire les usages, et notamment le vocabulaire ; ainsi des mots germaniques qui désignaient anciennement le « chef », le « seigneur », à savoir frô et truhtin, le premier n’apparaît plus en vieux haut allemand qu’en fonction de vocatif, pour interpeller, et le second sert presque uniquement à désigner « Dieu » (le seigneur céleste) ; le chef terrestre, le seigneur est désigné par un mot calqué sur le latin senior, le mot hêrro et ce mot nouveau, emprunté par l’aristocratie germanique à la nomenclature latine, a si bien remplacé dans tout l’ensemble de l’allemand les vieux mots que, dès le xie siècle, le vieux haut allemand tend à employer hêrro même pour Dieu et qu’aujourd’hui seul subsiste le mot Herr (voir Ehrismann, Zeitschrift für deutsche Wortforschung, VII, p. 173 et suiv.). Cette extension est d’ailleurs nécessaire dans beaucoup de cas ; car c’est seulement dans les vocabulaires spéciaux que nombre de notions nouvelles ont trouvé d’abord une expression propre et exacte.

Les sens particuliers qui se sont produits dans des groupements étroits ont donc de nombreuses occasions de passer à la langue commune, soit par mode, soit par nécessité ; il y a là de véritables emprunts à l’intérieur d’une même langue.

Il importe de définir ici ce que l’on entend en linguistique par l’emprunt.

Soit une langue considérée à deux moments successifs de son développement ; le vocabulaire de la seconde époque considérée se compose de deux parties, l’une qui continue le vocabulaire de la première ou qui a été constituée sur place dans l’intervalle à l’aide d’éléments compris dans ce vocabulaire, l’autre qui provient de langues étrangères (de même famille ou de familles différentes) ; s’il arrive que quelque mot soit créé de toutes pièces, ce n’est, semble-t-il, que d’une manière exceptionnelle, et les faits de ce genre entrent à peine en ligne de compte. Soit par exemple le latin à l’époque de la conquête de la Gaule par les Romains et le