Page:L'année sociologique, tome 9, 1904-1905.djvu/27

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c’est sans doute pour n’avoir subsisté que dans le langage rural que des mots latins comme ponere « placer », cubare « être couché », trahere « tirer », mutare « changer » ont pris des sens tout particuliers et techniques et ont fourni au français actuel pondre, couver, traire, muer ; c’est ainsi que, dans le patois français de Charmey (canton suisse de Fribourg), le mot zlâ « fleur », qui répond au français fleur, disparaît en ce sens, mais se maintient au sens de « crème », technique dans le parler de ce pays de laitage (voir Gauchat, L’unité phonétique, dans Aus romanischen Sprachen, Festschrift-Morf, p. 191). Au sens de « couper le blé », Furetière (cité dans le Dictionnaire général de Hatzfeld, Darmesteter et Thomas, sous « scier ») indique que quelques personnes disent soyer ou scier au sens de « scier » (couper) du blé ; c’est un mot rural que l’on avait transporté à Paris, mais qui aurait tout aussi bien pu prendre cette forme à Paris. À prendre le terme dans un sens strict et rigoureux conforme à l’esprit même de la définition, les mots français pondre, etc., sont encore des mots empruntés, bien qu’ils n’aient peut-être jamais cessé d’exister à Paris et qu’ils aient tous les caractères phonétiques et morphologiques de mots français. MM. Gilliéron et Mongin ont, dans leur étude de géographie linguistique, Scier dans la Gaule romane, posé ce principe capital que beaucoup de mots qui ne se dénoncent pas par leur forme phonétique comme des emprunts sont néanmoins empruntés à des parlers voisins et peuvent être reconnus pour tels à certains indices ; « le mot scier, qui continue le latin secare « couper », ne représente, d’après ces auteurs, qu’un emploi tout particulier et spécialement rural de secare, à savoir « couper le blé (avec la faucille dentelée) » ; c’est un exemple à joindre à pondre, couver, etc.

Inversement, les mots empruntés ne le sont pas en principe par la langue générale ; c’est dans les groupements particuliers qu’on emprunte des mots, et, presque pour chacun des exemples cités ci-dessus, on aperçoit aisément quel est le groupe qui a fait l’emprunt. C’est par les milieux militaires, par les commerçants et par les prêtres que le germanique a emprunté au latin la grande masse des mots qu’il s’est assimilés à date ancienne ; c’est aussi par les milieux militaires et par les prêtres que le slave a, à date ancienne, reçu des mots du latin et du germanique ; aujourd’hui c’est surtout le monde du sport qui emprunte des mots à l’anglais, c’est le monde militaire qui en emprunte à l’allemand, etc.