Page:L'année sociologique, tome 9, 1904-1905.djvu/34

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mange avec », signifie simplement « compagnon » ; les rapports des Gots avec les Arméniens n’ont pas été assez intimes pour qu’on soit autorisé à voir dans l’expression arménienne un calque de l’expression germanique ; cependant, la chose est possible à la rigueur.

D’autre part, on voit, beaucoup plus tard, la langue militaire fournir un nouveau terme ayant ce même sens, camarade ; camarade est l’espagnol camarada « chambrée » ; ma chambrée a désigné « un compagnon de chambrée », et, la notion de compagnon dominant, le mot a passé au sens de « compagnon » dans la langue française commune, et non seulement en français, mais aussi dans les langues voisines, notamment en allemand. Le mot camarade ne signifie pas autre chose que ce que signifie compagnon ; mais, surtout au moment de l’emprunt à la langue militaire, il avait une force et une fraîcheur de sens que l’emploi dans la langue commune a fait promptement disparaître.

Parfois le point de départ de tout un développement est un simple nom propre qui prend une valeur déterminée dans un groupe particulier. Ainsi en 1880, un propriétaire d’Irlande nommé Boycott, a été, au cours du mouvement nationaliste irlandais, mis à l’index par les voisins irlandais qui ont refusé d’avoir aucun rapport avec lui ; le procédé a été d’après lui appelé to boycott dans le parti nationaliste irlandais ; ce mot a été emprunté par la langue anglaise commune à laquelle l’ont emprunté ensuite les autres langues de l’Europe ; quand on emploie l’anglais to boycott et, à plus forte raison l’allemand boycotten, le français boycotter, personne ne pense plus au personnage qui a fourni son nom à ce procédé de lutte sociale et politique, et il va sans dire que le mot désigne quelque chose de beaucoup plus vague et plus général que ce qu’il désignait dans le milieu rural où il a été créé.

Le fait que le mot est pris à une langue particulière n’est pas moins clair en ce qui concerne l’allemand philister au sens de « personne fermée aux choses de l’esprit » (et le français philistin qui a reçu le même sens sur le modèle de l’allemand, au cours du xixe siècle). C’est seulement dans des corps d’étudiants, et particulièrement d’étudiants en théologie, que le nom de l’ennemi national du peuple élu, celui des Philistins, a pu, par une association naturelle devenir celui de tout le vulgaire, par opposition à un petit groupe d’élus, ce qui est arrivé au xviiie siècle ; aussitôt que le mot s’est étendu aux