Page:L'année sociologique, tome 9, 1904-1905.djvu/35

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étudiants des autres facultés, il a pris une valeur plus vague et plus générale, et le sens propre de peuple des Philistins s’est effacé de plus en plus ; enfin, en passant dans la langue commune, philistin s’est dépouillé presque de toute association avec le nom biblique et, quand Schumann a écrit pour son Carnaval une marche des alliés de David contre les Philistins, il réveillait par plaisanterie un vieux souvenir effacé bien plus qu’il ne faisait allusion à une chose courante.

On reconnaît souvent la trace des groupes particuliers où les mots ont séjourné aux nuances de sens qu’ils ont prises. Un mot comme maréchal, par exemple, a des sens divers suivant le groupe social auquel la langue générale l’a pris. C’est un mot germanique, venu dans le monde romain par le groupe des conquérants militaires ; le germanique marahskalk est un mot composé qui signifiait « garçon de cheval, garçon d’écurie » ; suivant que le mot était employé dans le langage de la cour à désigner un personnage de la suite royale chargé de la surveillance des chevaux ou dans la langue des garçons d’écurie proprement dits, il a pris deux sens bien distincts ; le maréchal est un haut fonctionnaire du roi, ou bien il est chargé du soin matériel des chevaux ; et c’est ainsi qu’on a d’un côté le maréchal de France, de l’autre le maréchal ferrant, ou le maréchal des logis, simple sous-officier. — Le comes stabuli n’existait qu’à la cour ; c’est le connétable ; et en effet le mot latin comes n’a persisté que dans le monde de la cour royale perdant ainsi le sens de « compagnon » pour prendre le sens particulier de compagnon du roi, dans le vieux français cuens (cas sujet), comte (cas régime) ; l’idée de « compagnon » était exprimée par un mot nouveau comme on l’a vu ci-dessus, p. 28.

D’une manière plus générale, le caractère des groupes spéciaux qui ont parlé à un certain moment la langue commune détermine le caractère des innovations sémantiques ; les développements de sens qui se produisent dans les couches inférieures d’une population divisée en classes distinctes ne sont pas les mêmes que ceux qui se produisent dans les couches supérieures. Ainsi l’expression de « voler » ou de « pleurer bruyamment » par marauder (agir en matou) qui a été signalée ci-dessus, p. 8, est essentiellement populaire. Le français est la continuation, non du latin classique et littéraire qui a disparu dans la ruine de la civilisation romaine, ni non plus de la langue des chefs germaniques qui ont dominé la Gaule à l’époque mérovingienne et à l’époque caro-