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Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/106

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L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

plats, et en buvant, donner de la saveur au vin ; fine dans ses reparties, affable, elle savait parler des choses sérieuses avec tant de majesté qu’auprès d’elle les Duchesses n’auraient été que des pisseuses… Elle s’attifait de parures à des modes à elle, qu’elle imaginait et qui étaient bien regardées ; se montrant aujourd’hui en coiffe, demain les cheveux moitié noués en chignon, moitié en nattes, avec une boucle qui lui tombait sur l’œil et la forçait de le cligner, Dieu ! à faire mourir les hommes d’amour et les femmes de jalousie ! Par sa bonne grâce naturelle, elle savait bien, la rusée, faire autant d’esclaves de ses amoureux, tous perdus dans le tremblotement de son sein, sur lequel la nature avait égoutté des larmes de roses vermeilles. Souvent elle allongeait sa main, comme si elle voulait y trouver quelque tache et faisant lutter les feux de ses bagues avec ceux de ses yeux, elle éblouissait la vue de qui lui regardait la main d’autant plus attentivement que plus artificieusement elle se la caressait de l’œil. À peine touchait-elle la terre quand elle marchait, voltigeant toujours çà et là du regard, et à l’eau bénite, quand elle s’en mouillait le front, elle s’inclinait avec une révérence qui semblait dire : « C’est comme cela qu’on fait dans le paradis. » Eh bien, avec toutes ses beautés, toutes ses vertus, toutes ses grâces, elle ne put faire que son père (quel bœuf !) ne la mariât à un homme de soixante ans ; c’est du moins l’âge qu’il avouait, et il ne voulait pas qu’on le traitât de vieux. Ce mari se faisait appeler Comte, à cause de je ne sais quelle bicoque aux murs décrénelés, accompagnée de deux tours, qu’il possédait ; et comme en vertu de certains diplômes sur parchemin, scellés de plomb, qui lui avaient été délivrés, à ce qu’il disait, par l’Empereur, il pouvait offrir des tournois à ces muguets dont c’est le plaisir de se faire trouer la peau ; presque tous les mois il s’en donnait un là. Il se croyait le podestat de Modène[1], à voir lui ôter leurs bonnets les badauds qui

  1. La polta di Modena : le podestat de Modène et la nature de Madonna.

    Il podesta ou il potta : le podestat.