Aller au contenu

Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/183

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
177
LES RAGIONAMENTI

au cordonnier ; celui-ci avait ma mesure, en un rien de temps les mules sont confectionnées. Je lui retirai ensuite une chemise de soie brodée, non de son armoire, mais de dessus le dos. La toque me manquait encore ; je lui dis : « Donne-moi la tienne ; pour la médaille je me la procurerai. » Et lui, tout chaud de faire dire de lui qu’il faisait des parties en masques avec moi, de me donner vite sa toque neuve : il en mit une qu’il projetait de laisser à son valet. Vint la veille au soir du jour où je devais aller à la parade : qui l’aurait vu occupé autour de moi se serait dit : « C’est le Capitole qui installe le Sénateur ! » À cinq heures de nuit[1], je l’envoyai m’acheter une plume, pour la toque ; il retourna ensuite acheter le masque, et comme celui qu’il m’apporta n’était pas de Modène, je l’envoyai m’en chercher un de Modène ; enfin je le fis encore sortir pour une douzaine d’aiguillettes.

Antonia. — Tu aurais dû lui faire faire toutes les commissions d’un seul voyage.

Nanna. — Je l’aurais dû, mais je ne le voulus pas.

Antonia. — Pourquoi ?

Nanna. — Pour paraître une Signora, à ma façon de commander, tout autant que je l’étais de nom.

Antonia. — Est-ce qu’il dormit avec toi ; la veille de la fête ?

Nanna. — Après mille supplications, il obtint une toute petite fois, et je lui disais : « La nuit prochaine, tu me le feras vingt fois, si dix ne te suffisent pas. » L’aube apparut ; avant que le soleil ne se montrât, je le fis lever et lui dis : « Va faire apprêter le cheval, afin qu’aussitôt dîné je puisse monter en selle. » Il se leva ; une fois levé s’habilla ; une fois habillé, partit, alla trouver le maître d’écurie, et une fois qu’il l’eut trouvé lui dit de l’air le plus aimable : « Me voilà. » L’autre restait indécis, sans accorder ni refuser. « Comment ? reprit-il ; voulez-vous être cause de ma ruine ? » — « Moi, non, reprit le maître ; mais le Révérendissime, mon patron, adore son cheval, et je connais le caractère des putains : bien loin de faire attention à un animal, elles ne feraient pas

  1. À onze heures du soir.