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Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/39

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LES RAGIONAMENTI

dignes personnes. Et les biens venant à lui manquer, toute confite en piété, toute humble, elle s’assied, verbi gratia, au milieu du pont Sixte[1], sans aucun appareil, excepté l’escabeau, la natte, le petit chien et une feuille de papier froissé au bout d’une canne fendue, avec laquelle il semblait qu’elle s’éventât et se garantît des mouches.

Antonia. — Dans quel but restait-elle sur l’escabelle ?

Nanna. — Elle y demeurait afin d’accomplir l’œuvre de revêtir ceux qui sont nus. Et si jeunette ! comme je l’ai dit, elle se tenait assise, le visage élevé et la bouche ouverte. À la voir, tu aurais dit qu’elle chantait cette chanson où il est dit :

Que fait donc mon amour, pourquoi ne vient-il point ?

Elle était encore peinte debout et tournée vers quelqu’un qui, par vergogne, n’osait lui demander certaines choses. Toute joyeuse, toute humaine, elle allait au-devant de lui, et l’ayant mené dans la grange où elle consolait les affligés, d’abord elle lui ôtait ses habits, puis, lui ayant dénoué les chausses et ayant retrouvé le tourtereau, elle lui faisait tant de fête, qu’entré en superbe, il lui pénétrait entre les jambes avec la furie d’un étalon qui, ayant rompu sa longe, se précipite sur la jument. Mais elle, ne se trouvant pas digne de le regarder en face et peut-être, comme le disait le prédicateur qui nous expliquait sa vie, n’ayant pas le courage de l’affronter si rouge, si fumant, si irrité, elle lui tournait les épaules magnifiquement.

Antonia. — Que cela lui soit représenté à l’âme.

Nanna. — Oh ! cela ne lui est-il pas représenté, puisqu’elle est toujours sainte ?

Antonia. — Tu dis la vérité.

Nanna. — Qui pourrait te raconter le tout ? Là était peint le peuple d’Israël qu’elle hébergea gracieusement et contenta toujours amore Dei. Et on voyait peint plus d’un qui, après avoir examiné ce qu’il y avait, la quittait avec une poignée de monnaie qu’elle avait obtenue par force d’un autre. Il

  1. Il s’y tenait beaucoup de prostituées.