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Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/73

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LES RAGIONAMENTI

son duvet était de soie. Du revers de la médaille il ne disait pas un mot, estimant qu’il faudrait ressusciter le Burchiello[1] pour en célébrer une minime parcelle. Il terminait en me rendant grâces, per infinita secula, de la libéralité avec laquelle je lui avais octroyé mon trésor, et jurant qu’il reviendrait bientôt me voir. Après un « Adieu, mon petit cœur ! » il avait mis à peu près ceci :


Celui-là qui dans votre beau corsage vit[2],
Contraint par trop d’amour, ainsi vous écrivit.


Antonia. — Qui donc n’aurait pas relevé ses jupes à une si belle chanson ?

Nanna. — La lettre lue, je la repliai et avant de la cacher dans mon sein, je la baisai ; puis, retirant le paquet de son enveloppe, je vois que c’est un très beau livre de messe, que mon ami m’envoyait, ou plutôt je crus que c’était un livre de messe. Il était recouvert de velours vert, ce qui signifie amour, avec des cordons de soie. Je le prends en souriant, je le caresse de l’œil, je le baise partout, en le

    de prière jaculatoire appelée Manuschristi d’après les mots qui la commençaient, d’où le nom de la friandise, aussi bien connue en France qu’en Italie.

  1. Domenico di Giovanni, dit il Burchiello, parce qu’il écrivait ses sonnets sans se soucier d’y mettre un sens, mais selon les hasards de son inspiration verbale et de la rime, ce qui n’est pas un art poétique si médiocre. Crescembeni fait dériver Burchiello de alla Burchia qui, entre autres sens, signifie : à la va comme je te pousse, n’importe comment. Il faut ajouter que plusieurs bons esprits ont vu dans l’obscurité du Burchiello autre chose que de l’absurdité. À l’époque de l’Arétin, il n’avait pas mauvaise réputation ; on avait tiré de son surnom un adjectif : burchiellesco, qui avait à peu près le sens d’énigmatique. Ce fameux poète burlesque naquit à Florence en 1404 et mourut à Rome en 1448.

    Ce serait Sachetti qui aurait inauguré un genre poétique auquel Burchiello attacha son nom. Il ne faudrait pas confondre le style burchiellesque avec la poésie fidentiane obscure et raffinée appelée ainsi en Italie au xvie siècle, à cause de Fidenzio Glottoerinio Ludimagistro. Le ton des poèmes le plus souvent satiriques du Burchiello s’approche plutôt de celui des quodlibet allemands, des coq-à-l’âne et des amphigouris comme on en fit tant en France au xviiie siècle.

  2. De vivre et non de voir.