Aller au contenu

Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/82

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
76
L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

aussi, et qu’il n’y a rien qui augmente plus le désir que la privation : quant à ce qui est de moi, je meurs de soif quand je n’ai pas de vin à la maison ; d’ailleurs les proverbes ne sont pas choses dont on doive faire fi, et il faut bien croire à celui qui dit que les Sœurs sont les femmes des Frères et même du peuple tout entier. Je ne songeais pas à ce proverbe, hier, sans quoi je ne t’aurais pas laissé prendre la peine que tu t’es donnée à me conter leurs déportements.

Nanna. — Tout est pour le mieux.

Antonia. — Dès mon réveil, en attendant qu’il fît jour, je me trémoussais comme un de ces joueurs que tu sais, quand un dé, une carte vient à tomber ou la chandelle à s’éteindre, et qui enrage jusqu’à ce qu’on ait retrouvé l’un ou rallumé l’autre. Je suis bien contente d’être venue à ta vigne, dont l’entrée m’est toujours ouverte, je t’en remercie, et bien plus encore de t’avoir demandé sans façon qu’est-ce que tu avais ; c’est ce qui t’a fait me répondre ce que tu m’as répondu, et maintenant j’en suis bien aise. Après que ces maudits coups d’étrivières t’eurent dégoûtée des amours et du monastère, quel parti prit ta mère à ton égard ?

Nanna. — Elle dit partout qu’elle voulait me marier, trouvant tantôt une histoire, tantôt une autre pour expliquer pourquoi je m’étais défroquée ; elle donnait à entendre à beaucoup de gens que les esprits hantaient par centaines le monastère, qu’il y en avait autant que de massepains à Sienne[1]. La chose parvint aux oreilles de certain particulier qui vivait parce qu’il mangeait. Il délibéra de m’avoir pour femme ou de mourir. Il était à son aise. Ma mère, qui, comme je te l’ai dit, portait les culottes de mon père (Dieu a voulu qu’il mourût), conclut le mariage. Pour t’en résumer mille en un mot, vint la nuit où je devais lui tenir compagnie, charnellement ; le dort-au-feu attendait cette nuit-là comme le laboureur attend la récolte. Mais qu’elle fut belle

  1. Les biscotes, massepains et autres pâtisseries sèches de Sienne ont été longtemps célèbres dans toute l’Europe.