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Page:Léo - Jean le sot.djvu/15

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seulement le chien de la maison, qui, en passant sous la table, avait marché sur le pied de Jean le Sot.

— Il faut que cette gibelotte soit mauvaise, dit la fermière, qui passait pour fine cuisinière et tenait à son talent, car vous ne l’achevez point !

— C’est que je n’ai plus faim, répondit Jean le Sot d’un air si bourru, qu’on ne put s’empêcher de rire et en même temps, ce caprice étonna tout le monde, car on était au premier plat, et, comme on le sait, à la campagne, on a robuste appétit.

Jean le Sage, étonné comme les autres, se joignit à eux pour prier son frère de manger davantage, ce qui parut au pauvre sot d’une si grande hypocrisie, qu’il ne put s’empêcher d’en témoigner son indignation, non en paroles, mais par des mines encore plus grotesques et des yeux si furibonds, que la cadette, se tordant, fut obligée de quitter la table, pour aller rire à son aise dans le jardin.

— Vous mangerez au moins de notre rôti, dit la fermière en posant une belle tranche sur l’assiette de Jean.

Mais il jura qu’il n’en voulait point, et cependant le fumet de cette viande, rôtie à la broche et appétissante, de couleur dorée, lui chatouillait le goût si fortement qu’il en avait le cœur gros, et que des larmes lui en vinrent aux yeux.

Jean le Sage se douta bien qu’il y avait quelque malentendu là-dessous : mais plus il pressait Jean le Sot de manger à sa faim et sans se gêner, plus l’innocent, lui faisant des yeux terribles, semblait près de s’emporter ; en sorte qu’il le laissa. Notre Jean le Sot resta donc à table sans plus rien goûter, pendant que tous les autres s’en donnaient à cœur joie. On lui offrit bien encore de la salade, remplie de otepons à l’ail qui, rien que par son odeur, faisait danser les mâchoires, puis de la crème, et de la tarte aux prunes, beurrée et poivrée ; mais il tint bon et refusa tout. La fermière s’en fâcha, disant que sans doute il avait dégoût de sa cuisine, pendant que le pauvre gars, tout irrité de besoin et de gourmandise, en faisait cas, au contraire, plus qu’aucun autre.

Après le souper, la soirée ne fut pas longue, et parce qu’à la campagne on se con-