Page:Léo - Jean le sot.djvu/22

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

voulait épouser son frère, elle pourrait pout-être, par l’amitié, n’es pas tirer trop mauvais parti, et le rendre heureux, tout en s’aidant elle-même du bien qu’il avait.

Il parla donc mariage à Jean le Sot, qui ouvrit bien l’oreille là-dessus, et sans ba- lancer, tout guilleret, nomma la plus jolie fille du village.

Ce qui prouve qu’il n’était pas sot en toute chose, et que ses gros yeux n’y voyaient pas mal. Il ne fut pas facile de lui faire comprendre que la belle se rirait de lui :

— Je l’aimerais tant : disait-il sans cesse, comme s’il croyait, l’innocent, que l’amour est tout en ce monde.

On ne put même l’empêcher de parler à cette fille, et comme elle était affollée d’un riche garçon, qui ne la courtisait point pour le bon motif, et qu’elle désespérait d’épouser, Jean le Sot l’échappa belle. Pourtant, elle eut l’honnêteté de le refuser.

De son côté, la veuve eût accepté volontiers un homme avisé, bien fait et avantage de toutes manières ; mais quant à un pareil sot, elle s’écria d’abord qu’elle n’en voulait entendre parler.

Mais Jean le sage, surtout quand il s’agissait de ses intérêts, avait une véritable éloquence ; et il revenait à la charge si souvent et avec de si bonnes raisons, qu’il fallait être à la fin de son avis.

— Tu veux une femme jeune et jolie, di à son frère. Pauvre sot : Ne vois-tu donc pas que c’est le plus grand malheur qui puisse arriver à un homme ! Un bien que l’on vous envie est toujours en grand péril. Pour une maison, des champs, des bœufs, il n’y a point de danger : la loi défend qu’on y touche. Pour une somme d’argent, suffit de la bien cacher : elle ne tentera personne. Tout autre bien enfin reste fidèle à son maître, et ne va point de lui-même trouver les voleurs. Il n’en est point ainsi d’une femme jolie : elle éprouve le besoin d’être admirée ; elle sait que la beauté réjouit les yeux et le cœur des hommes, et quand elle voit son mari si bien habitué à son bonheur qu’il ne le sent plus, l’âme généreuse d’une femme n’est point satisfaite : elle est froissée de son inutilité, et veut employer les dons que le ciel lui a départis. Ajoute à ce désir louable de bienfaisance,