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UN DIVORCE

— Oui, répondit-elle en soupirant ; mais je ne gronde qu’à la manière des bonnes grand’mères, je gâte en même temps. Voici des allumettes, monsieur, vous pouvez aller fumer.

— Ne vas-tu pas venir avec moi ?

— Si cela peut vous faire plaisir, répondit-elle encore du même ton très-doux et un peu triste.

— Où est ma sœur ? demanda Étienne comme s’ils sortaient.

— Mathilde est allée se promener avec un philosophe dans sa poche, et maintenant elle en a un autre à son côté. Je viens de l’apercevoir dans la prairie avec sir John Schirling. C’est leur bonheur d’être ensemble.

— Oui, je crois qu’il lui exalte la tête encore plus, dit Étienne avec un peu d’humeur.

— Ne voilà-t-il pas un homme raisonnable pour blâmer ainsi les autres ! Il n’est peut-être pas bien sûr que tu connaisses l’exaltation de la philosophie.

— Ah ça ! mais que signifient toutes ces méchancetés ? s’écria-t-il en la saisissant par la taille.

Mais elle lui échappa avec un petit rire saccadé, et se mit à courir jusqu’à la ferme, où elle arriva la première.

C’était l’heure où les vaches sortaient des étables pour s’abreuver à la fontaine. L’une d’elles, comme elle relevait au-dessus du bassin de pierre ses naseaux qui ruisselaient, tout en promenant dans la cour son grand œil rêveur, aperçut Anna et courut vers elle avec un doux mugissement. Elle atteignait la jeune fille, quand Étienne, effrayé, se jeta au devant d’Anna.

— Mais c’est Bichette ! c’est ma Bichette ! n’aie donc pas peur !

Elle éclata encore de ce petit rire qui n’était pas celui de sa gaieté franche, en même temps qu’elle regardait