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Page:Léo Taxil - Les trois cocus.pdf/219

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LES TROIS COCUS

Les interpellations ne sont pas ménagées à la belle Tatakoukoum.

— Mais, madame, lui crie une grosse mère, c’est un monstre que votre mari !

— C’est moi qui enlèverais le chignon à cette Inès de malheur ! clame une autre.

Enfin, nous voici en plein mancenillier ; le régisseur de la troupe, le clown Tirelampion, éprouve le besoin de venir expliquer au public ce que c’est que cet arbre terrible. Il faut mettre les points sur les i, quand on s’adresse au public d’Argelès.

— Mesdames et messieurs, dit Tirelampion, le dernier acte que nous allons avoir l’honneur de représenter devant vous est particulièrement intéressant, et nous ne saurions trop le recommander à votre attention. En même lumps que vous allez entendre les plus suaves morceaux du plus beau des opéras, vous vous instruirez, vous assisterez à un cours d’histoire naturelle. Castigat ridendo mores, a dit Victor Hugo dans une de ses meilleures ballades.

Deux ou trois enthousiastes applaudissent le nom du poète si intempestivement mêlé à ce boniment grotesque.

— Quoique personnage muet, l’arbre que voici, ce superbe mancenillier le décor représente, tant bien que mal, un palmier garni de noix de coco va jouer un rôle considérable dans l’action. Son ombre, messieurs et dames, son ombre trompeuse cache, sous les caresses d’une douce brise, le plus foudroyant des poisons. Vous allez voir à l’œuvre cet arbre étonnant que l’humanité doit au sol d’Afrique. Ah ! messieurs et dames, quand on songe au mancenillier, ou se demande avec terreur comment il se fait qu’il y a encore des Arabes en Algérie !

— Vivent les braves Algériens ! crie un monsieur chauve en agitant son foulard de soie rouge.

— À bas la Commune ! fait un vieux légitimiste, à la voix cassée, qui croit à mie manifestation de la part du monsieur chauve et prend son foulard pour le drapeau sanglant de l’insurrection de 1874.

Cet échange d’exclamations occasionne quelque tumulte ; néanmoins, le calme ne l’aide pas à se rétablir.

La belle Tatakoukoum paraît. Elle assiste au départ du navire qui emporte son mari et sa rivale. Elle se couche à l’ombre mortelle du fameux mancenillier, et, tandis qu’elle est là, couchée sur le dos, voici que du tronc de l’arbre descendent dix à douze couleuvres inoffensives, apprivoisées ; ce sont les serpents de l’affiche, dont trois à sonnettes.