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VIE ET LITTÉRATURE

gistral au prix duquel les plus brillantes qualités sont peu de choses, ce bon sens à la Descartes, anime l’ensemble d’un souffle permanent. Il imprègne si bien qu’il ne s’exprime plus, laisse le champ à la fantaisie, dès lors libre comme une déesse souriante, furtive et court vêtue. L’homme est sans cesse derrière l’auteur, et l’auteur inspire la confiance. Prenez un poète, Carlyle, pluie stellaire de métaphores qui traversent le ciel et la nuit du verbe. Pourquoi, malgré tout son génie, Carlyle n’a-t-il qu’une place restreinte dans la rêverie humaine ? C’est qu’il manque de cette harmonie intime que réclament les esprits éperdus de mirage. Il n’a point dompté notre confiance. Dans la bouche de celui qui nous a définitivement conquis par sa sagesse, le moindre mot prend une valeur magique. Où qu’il monte, nous le suivons. Nous fraternisons d’enthousiasme. Autrement, l’écart se fait entre le génie le plus magnifique et le lecteur. On s’étonne ; on ne subit point.

Ce que je viens d’exprimer tant bien que mal, mon père le gravait dans mon esprit en termes clairs, merveilleusement justes. J’étais une de ses œuvres. Il m’eût voulu parfaire comme les autres. Hélas ! Substance ingrate ! Si tu n’as su profiter, transmets au moins la parole féconde. Sois exact et fidèle. Peut-être s’en trouvera-t-il un qu’éclairera le flambeau pieusement rallumé.