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LE MARCHAND DE BONHEUR

sans retenue, sans fausse honte. On s’abandonnait à son indulgence. Aucun aveu ne nous coûtait.

Il usait peu de la réprimande. Au récit d’une de mes sottises, il gardait son plus tendre sourire, puis, revenant sur sa vie passée, me citait telle circonstance, une erreur analogue qu’il avait rachetée de telle façon.

Avant tout, il avait l’horreur du mensonge : « Ne cherche pas à me tromper. Tes yeux, ton accent te trahissent. Comment veux-tu que je te conseille si tu me lances sur une fausse piste ? » Il ajoutait : « Quant à vous, mes petits, je revis dans votre jeunesse. Cette prolongation est admirable. Lorsque vous m’embrassez à la hâte, désireux de fuir ma sagacité, je pourrais énumérer les malices par lesquelles vous comptez échapper au vieux père. Rassurez-vous. Faites vos écoles vous-mêmes. Mais racontez-moi vos scrupules, vos regrets, ces hontes de la jeunesse qui font que dans la nuit obscure, on mord, en gémissant, son oreiller. »

Il pensait que le premier devoir d’un père est d’être le camarade moral de ses fils. Il rappelait avec terreur une page émouvante de Montaigne, où le vieux maréchal de Montluc, je crois, se désespère d’avoir perdu son garçon sans lui avoir