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ALPHONSE DAUDET

jamais laissé deviner quelle passion il avait pour lui.

Il écoutait patiemment nos théories les plus extravagantes, laissant aux circonstances le soin de nous calmer. Il semblait surtout désireux de nous voir penser par nous-mêmes, à l’abri des influences. Car, dans le domaine intellectuel, il avait horreur de l’imitation : « Une des plus terribles paroles est celle de Lucain que le genre humain vit pour peu de personnes. J’ai le souvenir d’une multitude de physionomies et de causeries. Je pourrais facilement faire le compte des individualités et des idées neuves. Les uns, trop impressionnables, répètent les leçons apprises dans les livres et les journaux. D’autres sont les ilotes d’un parti, d’une doctrine ; que de suiveurs ! Quelle joie aussi quand on entend un accent sincère ! On a de ces surprises. Celui-là que l’on n’avait pas remarqué, qui se confondait avec les autres, entre tout à coup en lumière, prend du relief, se détache. Ils sont l’image de la vie, les couloirs de théâtres un soir de première. Chacun interroge son voisin, tremble de s’exprimer seul : — Ne pensez-vous pas ?… Quel est votre avis, cher maître ? — N’est-il pas étrange que, malgré le troupeau, les œuvres se classent, il se fasse un partage du beau et du laid, de justes réputations émergent ? »