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LE MARCHAND DE BONHEUR

mettre les débauches mentales d’un lyrique. D’ailleurs, je tiens avant tout à l’émotion, et l’émotion se perd quand les proportions humaines sont dépassées. »

Il me vantait constamment la justesse : « C’est, si l’on veut, une qualité mineure, mais, sans elle, rien de sincère. Elle seule cause ce petit frisson qui parcourt le lecteur des pieds à la tête et le donne confiant à l’écrivain. La justesse ! Elle exige parfois de durs sacrifices. Il m’est arrivé de sabrer impitoyablement tel beau discours, tel brillant épisode, afin de rester dans la mesure…

« Et ce qui vaut mieux que l’application de n’importe quel principe, c’est le don, l’instinct du superflu et du nécessaire, le goût de l’harmonie et de la proportion. Nous autres modernes, par la complexité de nos impressions, avons un peu perdu, semble-t-il, cette vue claire et limpide des anciens, cette réalisation immédiate d’un art sobre et parfait. Dans Rabelais, dans Montaigne chez qui l’humanisme se mêle à l’ivresse géniale, éclot tout à coup, parmi le fourré des maximes ou descriptions, une délicate fleur au parfum latin ou grec ; c’est le miracle de la reviviscence. Avec quelles délices on la respire alors ! Comme elle éclaire la page ! »

On voit la généralité des conseils qu’il donnait aux débutants en littérature. C’est qu’il croyait