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LE MARCHAND DE BONHEUR

tenait dans un coin Tourgnenef, estimé de tous, gardant ses impressions vraies pour lui seul. On ne devait les connaître qu’après sa mort et elles attristèrent. Déjà se montrait Maupassant, timide, et Flaubert vantait ses premiers essais. Il y avait aussi quelques savants, l’illustre Ponchet du Muséum, qui jouait dans cette société le rôle de Berthelot au dîner Magny.

Souvent j’entendis de Goncourt ou mon père regretter ces cordiales réunions où le mot de « confraternité » prenait un sens, où la philosophie des événements passait par l’épreuve d’une demi-douzaine de cerveaux robustes qu’enfiévraient le contact et l’ardeur à briller : « Pour ces journées-là, nous gardions le meilleur de nous-mêmes. On songeait : je leur conterai cela, ou bien : je leur lirai cette page et prendrai leur avis. Aucune bassesse, aucune servilité, ni élèves, ni maîtres… des camarades respectueux de leurs anciens, se chauffant au reflet de leurs gloires, et prouvant par leur choix qu’il y a dans notre métier autre chose que l’argent ou la vente. »

Je me rappelais ceci, au Père-Lachaise, sous le jour blafard et triste d’hiver, tandis qu’Émile Zola, en quelques mots superbes, disait adieu à son vieil ami. Que l’on discute tant qu’on voudra le romantisme ou le naturalisme, l’utilité ou le défaut des écoles, ce fut une belle heure littéraire