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ALPHONSE DAUDET

Donc, si Alphonse Daudet aimait la justice, il n’en estimait pas moins la justesse, et ce qui fausse le naturel lui plaisait peu. Ces façons de voir s’enchaînent. La vanité, l’affectation sont de perpétuelles causes d’iniquité. Quel habile adversaire du mensonge et de l’hypocrisie ! Combien les fausses larmes l’émouvaient peu ! Combien il était difficile de lui en faire accroire. Le moindre changement de la voix, le moindre tressaillement du visage, tout embarras du geste suffisaient à l’avertir. Aussitôt lui-même se métamorphosait, devenait cassant et dur. Il lui était insupportable qu’on escomptât sa bonhomie.

Il insistait sur ce qu’il appelait l’injustice à rebours, celle qui s’exerce à l’égard des riches et des heureux, et qui, comme la pitié russe, limitée aux scélérats et prostituées, lui semblait une monstruosité sentimentale. Ce genre d’affectation, si fréquent aujourd’hui, lui était odieux, qui consiste à ne plaindre les malheureux qu’au-dessous de trois mille francs de rente et à considérer comme méritées les catastrophes des millionnaires et des puissants : « Moi-même, disait-il, j’ai parfois à me défendre de sentiments de cet ordre. Ils sont détestables, comme tout ce qui crée des castes en face de la destinée. Est mauvais tout ce qui ajoute à l’injustice, celle-ci fût-elle