Page:Léon Daudet – Alphonse Daudet.pdf/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
138
ALPHONSE DAUDET

ne sont que des attrape-nigauds, dont il suffit de faire les gestes. Je me demande comment un homme de la valeur, de la droiture de Clemenceau a pu passer plusieurs années dans un pareil milieu ! »

J’allai au Congrès de Versailles, il y a quelques années, lors de l’élection du président actuel. Je fis, au retour, le récit de ce que j’avais vu, cet abominable chaudron de sorcières, ces faces terreuses, crispées, hypocrites, ces personnages noirs errant, quêtant, guettant, votant, clabaudant dans les galeries de statues pâles, ces airs d’importance, ces bras levés, ces chuchotements. La plupart semblaient des magistrats véreux et torves, mâchonnaient des mots tels que : « constitutionnel… anti-constitutionnel au premier chef. » D’autres, au milieu d’un groupe d’imbéciles ricanant, proféraient à voix basse d’épouvantables secrets. Il y avait chez toute cette canaille, transpirant sous son masque composite et sournois, la vanité d’en être, de disposer du sort de la pauvre France.

Comme j’achevais ce tableau, mon père, qui m’avait écouté avec des yeux brillants, reprit : « Oui, pauvre France !… Quand j’ai approché un de ces hommes, j’ai toujours été stupéfait de sa non-valeur, de sa prodigieuse niaiserie. Sauf de rares exceptions, on voit au Parlement le rebut du pays,