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ALPHONSE DAUDET

vous croyez ?… En êtes-vous bien sûr ?… Ne cédez-vous pas à un emportement, certes légitime, mais qui… etc.?… » — À de telles raisons, mon père murmurait : « Tartarin à l’envers. » Mais dès que l’autre, arrivé à une aventure personnelle, oubliait sa prudence, s’exaltait, s’enfiévrait, il lui réservait ses arguments : « Calmez-vous, mon cher… N’exagérez-vous pas ?… Où sont vos preuves ? » Ceci avec un œil étincelant de malice, de courtes bouffées de la petite pipe.

J’entre dans les détails afin d’esquisser, autant que je le puis, un portrait véridique de cet homme, singulier dans les petites comme dans les grandes circonstances de la vie, doué d’un sens comique supérieur.

Ce sens comique, il le jugeait indispensable au bonheur : « L’ironie est le sel de l’existence. Elle fait tolérer les beaux sentiments qui, sans elle, seraient trop beaux. J’aime la vertu familière, sans tunique ni cothurnes, sans phrases, qui agit à la dérobée ; j’aime une bonté si discrète qu’elle ne se regarde pas elle-même, car le subtil orgueil se satisfait par des monologues devant la glace, aussi destructeurs de la simplicité qu’un discours à la tribune ; j’aime une charité si obscure qu’on ne distingue jamais le visage du donateur, qu’on n’exige nulle reconnaissance, laquelle est, hélas ! l’antichambre de la haine. J’aime une pitié