Page:Léon Daudet – Alphonse Daudet.pdf/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
141
LE MARCHAND DE BONHEUR

honteuse, sans le masque de la pitié, sans la volupté de la main tendue, sans cette arrière-pensée si fréquente qu’on est « heureux de n’en pas être là ». Celui qui pense aux malheureux sans gîte, la nuit, pendant la tempête, chaudement à l’abri lui-même entre ses draps, celui-ci n’est pas loin du sadisme qui renforce la jouissance personnelle par l’image de la douleur d’autrui. Je hais la grimace de la vertu, la vertu-alibi, le monsieur grisonnant qui, de deux à cinq heures, distribue beaucoup de sermons, quelques soupes aux petites ouvrières, et, vers six heures, s’assure qu’elles ont enfin le ventre chaud ; la dame du monde qui, ostensiblement, tricote un pantalon pour un vieillard pauvre, les yeux fixés sur la pendule, et songeant à un jeune homme riche.

« Oh ! le masque de la charité… Les visites à domicile… Le Berquin révolutionnaire… La bonne dame… Ses jolis enfants et la fidèle Brigitte… La voix de gorge… La tranche de bœuf salé… La grand’mère qui tousse dans son placard… Le nouveau-né pendu à un sein froid… Rassurez-vous mes amis ! Voici un pâté qui n’est pas en carton, du bordeaux… et reprenez courage… Vous serez garde-forestier… Vous figurerez dans une pièce en quatre actes… Vous résoudrez la question sociale. Adieu, mes amis. L’émotion m’étrangle… comme c’est gentil chez vous… Venez, mes enfants… Oui, bonne