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ALPHONSE DAUDET

petite mère… qui t’a donné cette ordure ? … La vilaine petite fille… jette ça vite, ça sent mauvais. Cependant, les bienfaiteurs partis, la grand’mère est sortie du placard. On boit le bordeaux, on danse en rond, on s’empifîre de bœuf salé. Oh là là ! quelle gueule, la vieille Brigitte ! mince de mômes !… Aboule le pâté… etc. »

Après cette scène de comédie, mon père reprenait son sérieux : « L’ironie nous préserve de pareilles sottises. Elle apprend au bienfaiteur qu’on ne met pas ce titre sur ses cartes de visite ; à l’homme vertueux, qu’il faut se cacher de la vertu plus encore que du vice ; à l’apitoyé, que la pitié, si elle n’est discrète, est le plus grand levain des violences. Vois, aux époques révolutionnaires, cet étalage de beaux sentiments, cette mode d’attitudes attendries, ce zèle pour la charité redondante, l’aumône à métaphores, l’égalité et la fraternité en latin. Les victimes soignent leurs mots. Les bourreaux sont ivres de philosophie larmoyante. Eh bien, en de tels mélanges, on chercherait vainement l’ironie. Elle a disparu avec la mansuétude, sa sœur. N’est-elle pas une tendance à sortir de toute opinion extrême ? Les femmes ne l’aiment point, ni les enfants, ni les sauvages, ni les gens du peuple, ni les héros. »

Il souriait, les yeux perdus vers le passé, ranimant ces hautes flammes éteintes, et il y avait