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LE MARCHAND DE BONHEUR

Je ne puis abandonner, sans y insister, la question du pardon et du sacrifice. La vie, sans le pardon, paraissait à mon père intolérable : « L’erreur et le vice sont ici-bas dans les champs les meilleurs. Il ne suffit pas de les arracher. Il faut encore oublier leur emplacement. »

Il m’expliquait un jour comment la plupart des facultés morales ont des correspondances avec les facultés intellectuelles. C’est ainsi que le pardon est plus difficile à ceux qui ont une mémoire excellente : « J’ai dû faire quelquefois de prodigieux efforts sur moi-même pour excuser la petite traîtrise d’un ami ou telle injure à la reconnaissance. C’est que ma mémoire me représente les phénomènes passés avec une vivacité effroyable, comme à la lueur d’un grand sentiment. Je me rappelle les choses autant qu’un jaloux ou qu’un criminel. »

Le livre la Petite Paroisse est une étude très poussée du pardon. Comme toujours, il avait pris ses modèles dans la vie : « Les déductions imaginaires de l’auteur sont un assez grand sacrifice à l’irréel. Au moins que la source soit humaine. » Comme toujours, il avait groupé autour du cas central une multitude d’exemples particuliers. Dans cet ouvrage, le pardon lutte précisément avec la jalousie. C’est là cette lueur sentimentale qu’Alphonse Daudet trouvait dans sa mémoire.