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ALPHONSE DAUDET

Aussi, combien est vraie cette autre parole de lui : « Il est impossible à un auteur sincère de ne pas se mettre tout entier dans son œuvre ; cela ne signifie point qu’il raconte un épisode de sa propre existence, mais il anime ses façons de penser et de sentir, il les habille, il en fait des personnages ; ce qui nous frappe dans le monde et ce que nous pénétrons le mieux, c’est ce que nous devinons semblable à nous-mêmes ! »

Et, comme il désirait tout éclaircir par des exemples tirés de la réalité, et qu’il refusait de me suivre dans une discussion métaphysique, il ajoutait :

« Imagine que tu sois sous le coup d’une ingratitude. D’abord ta colère est vive et tu ne penses qu’à ce cas spécial. Calmé un peu, tu philosophes. Tu songes à tous les ingrats qui circulent par le monde. Te voilà vibrant à cette idée et à ses contradictoires, prêt à pleurer de reconnaissance, prêt à flairer dans les salons, dans la rue même, les rancuniers, les oublieux, les endettés, les mauvais amis, etc. C’est la période des coïncidences. C’est alors que tu remarques, que tu découvres partout des circonstances très voisines de la tienne. L’hallucination continue. Or, chez les romanciers, ces diverses associations atteignent au paroxysme. Le don consiste à leur prêter la vie, à les faire sortir de leurs régions abstraites et