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ALPHONSE DAUDET

il le stratège. Et ce que je ne puis exprimer, c’est la spontanéité, la grâce irrésistible de ces manœuvres demi-méthodiques, demi-instinctives et dont le dernier résultat était de soulager une misère.

Il attendait beaucoup du silence. En ce silence vibraient ses dernières paroles qui gagnaient ainsi de la grandeur. J’en vois certains debout devant sa table, les yeux humides, les mains tremblantes. J’en vois d’assis, mais tournés vers lui dans un mouvement de reconnaissance, étonnés d’une pareille sagesse. J’en vois d’intimidés, de bégayants qu’il savait rassurer d’un sourire. Ou bien, attendant l’effet de son discours, il feint de chercher une feuille de papier, sa plume, sa pipe, son monocle sur sa table toujours encombrée.

Dépositaire de tant de secrets, mon père les garda pour lui seul. Il les a emportés dans la tombe. Souvent je devinais certaines choses, mais lorsque je le questionnais, il m’échappait tendrement et raillait ma curiosité.

Tout au loin, tout au fond de ma petite enfance, j’aperçois la bonté de mon père. Elle se manifeste par des caresses. Il me serre contre lui ! Il me conte de si belles histoires ! Nous nous promenons dans les rues de Paris et tout a un aspect de fête.