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NORD ET MIDI

« Plus j’y réfléchis, disait mon père avec force, plus ce don me paraît primordial, indispensable, irremplaçable. Sans lui, nous demeurons en dehors de nos créatures, et celles-ci conservent quelque chose d’emprunté, de factice, à quoi le plus simple d’entre les lecteurs ne se trompe pas. Sans lui, l’on peut bien fixer une fois un type inoubliable, à condition que ce type soit celui de l’auteur lui-même ou son contraire, ou une parcelle grossie, mais le miracle ne se renouvellera pas et la suite des œuvres ne sera qu’une succession de silhouettes, d’ébauches de plus en plus ternes, de moins en moins émouvantes.

« Celui qui a ce don de transformation peut manquer de style, écrire à la diable, se hâter. Il restera dans son œuvre une force particulière qui la fera vivre et durer, alors que d’autres plus soignées, plus irréprochables, auront passé depuis longtemps.

« Prenons, en face de Balzac, le plus grand lyrique du siècle en exemple : Victor Hugo. Le plus grand lyrique, c’est-à-dire le plus gros moi, la personnalité la plus envahissante. Dans ses romans et dans ses drames, que voyons-nous ? Des êtres démesurés, formés par des plissements ou des déplissements du propre moi Victor Hugo.

« Moi diversifié de mille manières, mais reconnaissable, sous ses vêtements d’emprunt, à son