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ALPHONSE DAUDET

langage, à ses métaphores, à ses césures émotives, à ses antithèses, au bagage romantique en un mot. Ce sont des poèmes admirables, ils ne nous donnent pas l’illusion de la vie ; Javert, c’est la dureté de Victor Hugo ; sœur Simplice, c’est son sentiment du devoir, c’est la générosité de Hugo ; Jean Valjean, c’est tout Hugo, sa révolte, sa magnificence et son égoïsme à la fois…

« Cette personnalité est si débordante, si incapable de métamorphose que, dans ce merveilleux livre d’observation, Choses vues, elle imprime sa marque à tous les événements. Il se réserve les paroles sages, les appréciations sensées, les solutions hardies, s’approprie l’histoire avec une gravité et une certitude comiques. »

Je me souviens qu’un jour, à la suite d’une de ces causeries, je lui demandai d’où venait ce pouvoir, cette aptitude à entrer dans le cœur d’autrui et à revêtir sa manière.

Il me répondit : « Je ne suis pas un métaphysicien, tu le sais, mais il m’apparaît, à travers tous les systèmes, que la philosophie, sagace dans les problèmes de la raison et de l’intelligence, est rudimentaire pour ce qui a trait à la sensibilité.

« Celle-ci est demeurée mystérieuse, inexplorée, pleine d’abîmes. Tout l’effort de Descartes et de Spinoza ne fut-il pas de la ramener à la rai-