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ALPHONSE DAUDET

son indifférence, lorsqu’elle nous apparaît séparée de nous par un infranchissable gouffre.

« Ainsi je m’explique que les croyants ferment les yeux au monde, se bouchent les oreilles et se renferment dans les étranges palais de l’âme. Ils ne trouveraient au dehors que péril, désert et tentations.

« Et moi, dans le sang de qui se combattent le doute et des souvenirs de croyances, j’ai un aspect double de ce qui m’environne, de ce parc, du ciel et des eaux : tantôt cela vibre, cela m’atteint, me traverse et m’enthousiasme. Tantôt je demeure froid, et les endroits familiers me sont des séjours inconnus, presque hostiles… N’est-ce pas aussi la douleur qui me décolore mon petit domaine ? »

À la fois nomade, amoureux du changement et traditionnaliste, respectueux de la religion, scrupuleux et moqueur, haïssant l’officialité, la coterie, les honneurs mensongers de la société et toute convention, il m’apparaît comme un type achevé mais épuré de l’homme du midi.

Épuré ; car c’est dans l’action que le méridional souvent se dégrade : mon père ne l’ignorait point et jugeait sévèrement certains politiciens célèbres, ses compatriotes :

« La morale lâche comme la ceinture, des rigoles de taches, le verbe aussi facile que l’élan, que la