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ALPHONSE DAUDET

Moi. — N’est-ce pas la même chose ?

Lui. — Nullement. La vérité est un jugement moral, porté par les hommes ou les faits, sur la réalité. Le jugement peut s’obscurcir, défaillir et sombrer. La vérité est d’une susceptibilité supérieure à n’importe quel papier impressionnable. L’air la dégrade, et la lumière et le souffle et tout. La réalité, elle, persiste et demeure. Mais il faut un poète pour lui donner la force de reviviscence, de propagation et de durée. Michelet fut un visionnaire du réel. »

Rarement un esprit ose être ce qu’il est.

Ce vers, qui est, je crois, de Boileau, mon père le lançait tout à coup dans la conversation comme un encouragement ou un reproche. Il expliquait comment le caractère est le résultat d’un courage moral, qui porte l’être à se développer dans son sens propre, à pousser en relief les vertus et les vices qui forment son patrimoine. « De même, ajoutait-il, il est une timidité intime ; laquelle inhibe l’individu, l’empêche de réaliser son type, et nous donne cette multitude de médailles frustes, à demi effacées, sans intérêt, qui sont la masse,

« Un littérateur, qui traite des passions, a forcément affaire à cette masse, à ces silhouettes indistinctes. Ce serait une convention fatigante