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ALPHONSE DAUDET

rituel, des vertus sans relief et des circonstances monotones.

Alphonse Daudet était, dans son vêtement, d’une modestie exemplaire. Il n’en fut pas toujours de même. À la première représentation d’Henriette Maréchal, on remarquait, parmi les défenseurs enthousiastes de la pièce, un jeune homme aux longs cheveux noirs dont les applaudissements faisaient scintiller les reflets d’un veston argenté. La future Mme Alphonse Daudet, alors Mlle Allard, assistait à cette séance mémorable : « On peut amener les jeunes filles ; le tapage sera si vif qu’elles n’entendront rien. » Telles avaient été les paroles de l’ami qui apporta la loge ; telle fut la première rencontre, très inconsciente, de mon père et de ma mère.

Dans les dernières années, mon père, quand il dînait en ville entre amis ou chez lui le jeudi, portait un veston de velours noir. Mon frère et moi étions heureux de lui donner le bras et fiers de sa beauté, en certains jours vraiment extraordinaire. Avec quelle pudeur il cachait sa souffrance ! Elle crispait ses traits un instant, mais si bref que nous seuls pouvions la deviner ; il nous rassurait d’un sourire et contait aussitôt quelque histoire bouffonne et vaillante, accompagnée d’un petit frémissement de l’œil qui nous associait à son héroïsme.