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L’EXEMPLE FAMILIER

Souvent, nous nous le répétons : ce qu’il ne disait pas, ce qu’il laissait entendre par son regard était aussi pénétrant, aussi divinatoire que sa parole. Et quelle indulgence ! « Pour bien tenir ce qu’on tient, laisser toujours un peu de corde. Si les enfants ont l’âme bien faite, la tendresse qu’on leur montre ne leur nuira jamais. Elle les soutiendra plus tard, dans les heures mauvaises. C’est toujours cela de pris sur l’existence ennemie. »

En vérité, je le dis pour ceux qui ne l’ont point connu, il n’était pas le Christ hâve et blême que certains se représentaient. Quand ses douleurs lui laissaient un répit, il donnait l’illusion de la santé complète. La table est parée de fleurs et de cristaux. Voici les convives les plus divers : Goncourt, Scholl, Coppée, Albert Wolff, Mallarmé, Mariéton, Heredia, Sully Prudhomme, Flaubert, Drumont, de Banville, Hébrard, Georges Hugo, Hervieu, Gambetta, Tourguenef, Maupassant, Géard, Leconte de Lisle, Zola, Rochefort, Barrès, Hennique, Montesquiou, Rodenbach, Geffroy, Charpentier, combien d’autres ! Dès le potage, mon père a mis tout le monde à l’aise, enchanté ses hôtes par un récit bref et brillant, une de ces improvisations ailées dont il est coutumier, ou quelque observation d’un comique irrésistible. Puis,