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ALPHONSE DAUDET

avec une adresse merveilleuse, il lance la causerie dans un sens favorable à la verve des uns et des autres, il la dirige, il la protège, il la ranime, il la hausse et la maintient humaine ; tantôt il fait tête à tous, s’emballe, et le son de sa voix chaude et souple, ardente et prenante, et ses yeux et son geste complètent un fabuleux ensemble. Tantôt il cède la place, se fait petit, se dissimule, et laisse un glorieux du récit remporter son triomphe. Il sait le prix des opinions, l’entraînement des discours, l’ivresse des contradictoires. Sur un seul point, il est sévère. Il tient au bon ton des plaisanteries, et malheur à celui qui se permettrait quelque allusion risquée, quelque mot choquant les oreilles féminines. Le regard devient noir ; la voix change ; avec prestesse et dextérité, il rappelle au maladroit les bornes de la politesse, « ces jolies frontières où l’on peut tout dire, pourvu que n’apparaisse aucune image vilaine, rien de ce qui souille et dégrade ».

D’une acuité d’oreille extrême, mon père entend ce qui se chuchote à dix couverts de lui ; il intervient soudain dans un a parte où on ne l’attendait pas, et rien ne l’amuse comme de dérouler un léger mystère, un début de flirt, une approche timide.

Mais il ne faudrait pas se duper à tant de bonhomie, prendre cette douceur pour de la fai-