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L’EXEMPLE FAMILIER

blesse, et, comme il dit, « lui retirer sa chaise ». J’ai connu à deux hommes le don complet de répartie : l’un, c’était Alphonse Daudet ; l’autre, est notre cher et admiré Paul Hervieu. Pareille adresse d’escrimeur, qui, sur une attaque imprévue, trompe le fer et file à la poitrine avec une rapidité démontante. Pareil regard aigu, brusquement sombre et implacable. Pareil choix de mots, de traits inoubliables, empoisonnés et barbelés et qui voleront désormais sur les lèvres. Précieuse faculté dont l’abus n’est pas à craindre chez des hommes pareils, faculté qui prend une forme durable dans des œuvres telles que l’Immortel ou Peints par eux-mêmes, qui dompte et bride les sots, les méchants et les lâches, et qui, plus répandue, assainirait la société, renouvellerait l’air souvent empesté des réunions discourtoises et mondaines..

Le « naturel », tel était le présent que faisait mon père à toute société où il se trouvait. Il délivrait les gens des mille liens de Lilliput, que nouent les convenances hypocrites, les préjugés et la niaiserie des snobs. Révolutionnaire, ennemi des abus et des masques, il gardait les formes de la politesse. Son ironie se faisait dissolvante et terrible, en demeurant d’apparence douce. Souvent, des hommes froids, graves et fermés, rebelles