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L’EXEMPLE FAMILIER

rissait à l’égal de ses fils, et dont il admirait le talent précoce, incisif et nerveux. Le cri de révolte des superbes Souvenirs d’un matelot lui était allé au cœur, comme le bouleversait toute parole émue et sincère. Il m’est arrivé d’écrire des pages violentes et même sanglantes. Jamais il ne m’a imposé la moindre restriction. Il savait d’ailleurs que la colère n’est qu’une autre face de la pitié. Dès mon plus jeune âge il me conseilla la modération dans le doute et la hardiesse dans la certitude. Je n’avais pas dix ans qu’il me fit donner ma première leçon d’armes et de pistolet, « pour me permettre d’être aussi patient et longanime que possible, mais, le moment venu, détonner l’adversaire ».

Tant qu’elle ne le fatigua pas trop, l’escrime fut son grand exercice. Il s’y livrait avec passion, gardant la planche pendant une heure, et sa nature apparaissait là tout entière, un mélange de force et de finesse, une prudence à césures brusques d’audace et d’emportement qui faisaient de lui un redoutable adversaire. Sur le jeu d’épée et de fleuret, sur l’aveu d’un caractère par les feintes, sur l’élan irrésistible, il a écrit des notes excellentes, dont la justesse étonnera les professionnels.

À la même époque, il faisait de longues marches dans Paris, d’un pas rapide, roulant dans sa tête