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L’EXEMPLE FAMILIER

ne peuvent rendre, ce qui est bien perdu, c’est sa voix aux inflexions aussi délicates et nombreuses que les sentiments qu’elle exprimait, privée d’accent de race, mais non de mélodie, et comme ensoleillée, quand l’âme était joyeuse, ou tressaillante dans les phases mélancoliques. Elle est si bien demeurée dans mes oreilles, avec toutes ses nuances, qu’il me semble l’entendre, quand j’ouvre un livre de lui ou quand je cite quelqu’une de ses paroles. L’ironie se traduisait par une courte hésitation, une sorte d’arrêt au milieu des phrases que l’auditeur devait parfois achever. Le rire était franc et superbe, de contagion irrésistible. Un léger mécontentement, les petits ennuis de la paternité s’exprimaient tantôt par le mutisme, sans bouderie, mais fort gênant, tantôt par des remarques à côté, « sans avoir l’air ». — Tiens, tu sors beaucoup, cette semaine. — Il me semble que ça ne va pas fort, le travail… Et autres ruses innocentes.

« Si l’on s’attaque aux miens, je deviens une bête féroce. » Cette phrase, dans sa bouche, n’était pas exagérée. Il domptait sa nature par la générosité, la bonté, la douceur, par l’humanité, mais le fond était violent et d’une ardeur extrême. Le blesser dans ses affections, c’était provoquer sa colère, d’autant plus dangereuse qu’il savait se