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ALPHONSE DAUDET

contenir et attendre l’heure, selon lui immanquable, du châtiment : « Laisse donc faire le destin, me disait-il, quand je brûlais du désir de venger un affront ; il se chargera de ta haine. » Mais, quant à ce qui ne touchait que lui, il fut toujours incapable de rancune : « Bah, la vie est trop courte ! »

Cependant je dois remarquer qu’il revenait peu sur ses jugements et qu’on ne se relevait pas de son mépris. Comme ceux qui aiment vraiment, il avait l’amitié susceptible. Une trahison lui allait au cœur. Et, quand il se croyait lui-même dans son tort, il eût tout fait pour réparer sa faute, et il l’avouait sans réticences. Nul homme ne fut moins hypocrite ; nul ne détesta aussi sincèrement le mensonge, « cette herbe parasite qui est dans les regards, la voix, le geste, la démarche… qu’on a tant de mal à chasser complètement ».

Pour ce qui est du confortable de la vie, mon père ne tenait à rien, et ne s’attachait qu’à quelques objets très simples, toujours les mêmes, ses pipes, son porte-plume, son encrier, petits souvenirs de nous dont sa table est restée couverte. Lui-même parle, en quelque endroit, des objets chers au défunt, « petites figures, petites effigies, qui font les larmes irrésistibles ». Si nous lui donnions des cigares, il les distribuait à tout