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DE L’IMAGINATION

veillent tellement ! Voilà pourquoi les dialogues sont éclairés par une lueur de vérité si intense que les moindres personnages en ont le reflet sur la figure !

Mon père. — Je me rappelle un mot de Balzac à un écrivain mystique aujourd’hui peu connu, mais fort éloquent, Raymond Brucker, l’auteur du Chas de l’aiguille : « Mon bon Balzac, où observez-vous vos héroïnes et vos héros ? — Eh ! mon ami, comment voulez-vous que je prenne le temps d’observer ? J’ai à peine le temps d’écrire. » Ceci prouverait que le mécanisme que tu indiques était connu de Balzac lui-même.

Moi, — Balzac connaissait tout. Une imagination comme la sienne a tout entrevu, tout coordonné. Il a même eu le don de prophétie, puisqu’on prétend qu’il a créé son temps à l’image de la Comédie humaine. Il suffit, pour être sybille, de raisonner juste, et de sérier les événements. Mais ne trouves-tu pas séduisante cette idée aventureuse qu’un esprit renfermerait en lui toutes les caractéristiques passionnelles ou sentimentales, à l’état de germes, bien entendu ? L’observation, alors, n’aurait plus qu’un rôle d’évocatrice. Elle donnerait leur sens à ces cristallisations morales qui sont les vertus et les vices, à ces architectures profondes de l’avarice, de l’orgueil, de la luxure, de la timidité, de l’héroïsme, etc.