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DE L’IMAGINATION

viennent la force, la joie et la douleur, toute philosophie de ces hauteurs présuppose une bonne étude de l’imagination. Si la raison et le jugement gouvernent les actes ordinaires, tous les mouvements qui tendent à lutter pour la vie, à conserver cette vie malgré les obstacles, c’est l’imagination, c’est la faculté des images qui règle la sensibilité. Sensibilité, imagination, sont deux termes connexes. On ne le sait pas assez. Quand je vois un enfant très joyeux ou très mélancolique, sachant s’amuser seul, se passer de petits camarades, faisant preuve d’une sensibilité vive et personnelle, je me dis : Voilà un imaginatif futur. C’est une règle qui ne trompe pas. Le philosophe que nous réclamons devra l’inscrire en tête de son essai.

Mon père. — N’est-ce pas la sensibilité qui permet ces métamorphoses, dont nous nous entretenions tout à l’heure ? Tu connais mon amour des vagabonds, de tous les pauvres diables couleur de route, qui se rafraîchissent à la fontaine, et dont j’épiais les moindres gestes quand nous habitions la maison en haut de la côte. Eh bien, je t’affirme, et tu ne riras pas, que j’ai quelquefois quitté ma chambre, ma maison, ma peau, et que je suis entré dans ces organismes à la dérive, dans ces misérables souhaits, dans ces soifs terribles, dans ces formidables contentements du pain, du vin