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DE L’IMAGINATION

période, et celui de Baudelaire : Ou la sensibilité à la justesse. Pauvre Baudelaire ! C’est cette recherche du terme exact qui l’a tué.

Quant à Hugo, si nous rapprochons sa sensibilité verbale de la sensibilité au froid et au chaud par exemple, nous voyons que ses plus admirables poèmes sont de véritables frissons. Frissons prophétiques d’ailleurs. Dans l’habitude de la vie, par le frottement et l’effritement, la plupart des mots se sont banalisés, et nous employons des termes sans force, privés de sang, des anémiques. Hugo, grâce à sa sensibilité verbale, a rendu aux mots toute leur énergie, tous leurs reflets. Cette sorte de miracle s’opère surtout chez lui par l’enchâssement du mot dans la phrase. Il le présente, comme les bijoutiers présentent certains bijoux, au point le plus lumineux et de telle façon qu’il brille d’un éclat insolite et ardent. Le mot chez lui suit sa trace fraîche, comme le papillon suivait le filet d’arrosage, et en plein XIXe siècle, il restitue au vocabulaire toute la force ardente du XVIe alors que les termes d’un emploi neuf brillaient et flamboyaient au soleil de l’idée.

Moi. — Cette sensibilité verbale a un écueil. Quand Hugo se trompe, il se trompe grandiosement. Il prend les sonorités pour des raisons, les allitérations pour des preuves et il se contente