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DE L’IMAGINATION

symboles, ces pierres précieuses où sont en suspension des vérités et des énigmes de couleur ?

Mon père. — Il est des heures où les troubles images me séduisent. Je comprends à merveille qu’une classe d’esprits s’y délectent et refusent toute autre nourriture. Elles blasent le palais. Le reste semble fade. Je reproche seulement à l’obscurité de ne renfermer souvent qu’un objet de peu d’importance, qui, transposé en termes simples, n’attirerait pas l’attention. Il est permis aux poètes, quand un tourbillon d’idées, d’impressions vagues les assaillent, de traduire ces idées et ces impressions dans la suite même où elles se présentent, heureux ainsi d’avoir pu fixer le mystère. Ce qui est répréhensible, c’est d’obscurcir volontairement son discours.

Il est bien des moyens, pour une imagination septentrionale, d’être sincèrement ténébreuse. Tantôt les analogies, tout le miroitant cortège d’un mot ou d’une pensée, entraînent la plume et la raison. Tantôt, le poète creuse en profondeur, tel Swinburne, par exemple, arrive à des régions inexplorées et noires, où seule le guide sa petite lampe fumeuse. Tantôt les impressions lyriques se présentent à l’esprit avec un grand tumulte, une vapeur que respecte celui qui les transmet. Tantôt une extrême concision, la louable recherche d’une formule précise et rare