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DE L’IMAGINATION

transforma. Elle renouvelait l’atmosphère de l’art. J’ai bien compris alors la vanité de toute discussion sur le réalisme, le lyrisme, ou le symbolisme. Il y a de tout dans Wagner et en tout il est admirable, car rien chez lui de pédantesque ni de bassement intentionnel. Tourné vers la Joie, il écrit les Maîtres chanteurs ; tourné vers la Douleur, l’Amour, la Mort, les Mères de Gœthe, il écrit Tristan et Iseult. Il utilise tout le clavier humain et tout le clavier surhumain. Le cri, les larmes, le déchirement du désespoir, le ruissellement de l’eau sur la roche, le souffle du vent dans les arbres, le remords sanglant de l’inceste, le chant du pâtre, les trompettes guerrières… Son imagination fourmillante est toujours surchauffée, toujours prête.

Excessive et fiévreuse, elle a, cette imagination, non seulement renouvelé la musique, mais encore bouleversé la poésie et la philosophie. Quoique les théories m’inquiètent, je les sens frémir chez Wagner, derrière chacun de ses héros. Les dieux parlent de leur destin, et du conflit de ce destin avec celui des hommes, et de la Fatalité antique, d’une manière quelquefois obscure, mais d’un emportement tel que l’on oublie de discuter. C’est le mur, le fameux mur de la Légende des siècles, peuplé de tubas, de trompettes Sachs, étincelant et tumultueux.